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"Silicon Saxony, dernier bastion européen pour le développement de semi-conducteurs". Dans les rues de Dresde (Allemagne), en ex-RDA, des dizaines de manifestants brandissent le même panneau. La capitale du land de Saxe, haut lieu des firmes de haute technologie outre-Rhin, est rongée par l'incertitude : l'un de ses champions, le fabricant de mémoires informatiques Qimonda, a déposé le bilan fin janvier. Malgré le froid, plus de 2 000 salariés du groupe et de ses sous-traitants ont défilé, mardi 3 février, pour la sauvegarde de l'entreprise.
Une industrie fortement subventionnée par le Land de Saxe
1991
La Treuhand, l'organisme chargé de privatiser les combinats d'ex-RDA, veut fermer l'entreprise de microélectronique ZMD jugée obsolète. Le Land de Saxe la rachète, avant de la privatiser en 1999.
1994
Le conglomérat Siemens investit 1,3 milliard d'euros dans la construction d'une usine de semi-conducteurs à Dresde et reçoit pour ce faire quelque 400 millions d'euros de subventions publiques. Les activités de microélectronique du groupe sont regroupées en 1999 dans sa nouvelle filiale Infineon.
1996
Le fabricant américain de microprocesseurs Advanced Micro Device (AMD) consacre 1,5 milliard d'euros à la construction d'une première usine au nord de Dresde. Il encaisse lui aussi 400 millions d'euros d'aides publiques. Quelque 2 900 salariés travaillent actuellement pour AMD en Saxe.
2006
Infineon crée à son tour Qimonda - détenue à 77 % -, société spécialisée dans la production de puces mémoire. Ces deux entreprises emploient aujourd'hui plus de 5 000 personnes dans la capitale de la Saxe.
Filiale de l'allemand Infineon, Qimonda accumule depuis plusieurs trimestres des pertes se chiffrant en milliards d'euros. La société, qui emploie 12 200 personnes dans le monde dont 4 600 en Allemagne, principalement à Dresde, explique avoir été acculée à la faillite à cause de "la baisse spectaculaire des prix pour l'industrie des mémoires vives (DRAM), combinée à la détérioration de l'accès à des moyens de financement".
S'il ne parvient à trouver un investisseur d'ici fin mars, le groupe devra mettre la clé sous la porte. "Nous disposons d'une technologie très innovante et les employés sont hautement qualifiés : cela a un sens d'investir chez nous", affirme Michael Grechner, le chef du comité d'entreprise.
D'autant que si Qimonda disparaît, prédit-il, "c'est toute la "Silicon Saxony" qui risque de sombrer".
La désillusion est grande : en quinze ans, la ville de Dresde est parvenue à attirer un tissu dense d'activités microélectroniques grâce à de confortables subventions, et à un environnement réglementaire et social favorable. Le land bénéficie d'une longue tradition industrielle : en 1961, le conglomérat Robotron a construit à Dresde le premier microprocesseur du Comecon, l'ancien espace économique du monde communiste.
COUP DUR AUSSI POUR L'EUROPE
Depuis le début des années 1990, quelque 1 200 entreprises du secteur des technologies de l'information et de la communication y ont créé 44 000 emplois, selon le ministère de l'économie régional. Pour la microélectronique seule, on dénombre plus de 200 entreprises et 20 000 salariés. La Saxe est aujourd'hui considérée comme le premier site européen dans cette branche. "Le développement d'une telle industrie a été un succès pour cette région d'ex-RDA, reconnaît Joachim Ragnitz, le directeur de l'institut économique IFO de Dresde.
Aujourd'hui, la panique monte à l'idée que ce secteur disparaisse peu à peu."
Car Qimonda n'est pas la seule société à traverser une phase difficile. Sa maison mère, Infineon, et le fabricant américain de semi-conducteurs AMD, tous deux implantés à Dresde, souffrent aussi de la concurrence que se livrent les différents acteurs du secteur.
Bataille pour atteindre les prix les plus bas, surcapacités, chute de la demande, baisse des crédits : la conjonction de ces facteurs pèse sur ces firmes. Accablé de dettes, le groupe AMD a regroupé ses usines saxonnes, en octobre 2008, dans une co-entreprise détenue en majorité par un fonds d'investissement d'Abu Dhabi. Quant à Infineon, il a déjà supprimé, à Dresde, 700 de ses 3 900 emplois depuis 2007. A en croire les syndicats, la casse sociale ne peut que s'amplifier si aucune solution n'est trouvée pour Qimonda.
"La disparition (de cette entreprise) serait un coup dur pour la région. Et d'un point de vue technologique, c'est l'Europe tout entière qui va en pâtir", s'inquiète Johann Bartha, professeur à l'Université technique de Dresde. Ce spécialiste de microélectronique rappelle que le groupe allemand est le dernier poids lourd européen pour la fabrication de mémoires informatiques, dans un secteur dominé par des géants américains et asiatiques, eux-mêmes lourdement subventionnés. Pourtant, Bruxelles a déjà fait savoir que l'entreprise ne serait pas sauvée par des fonds européens.
Pour Joachim Ragnitz, de l'IFO, "la production de ces composants n'a peut-être plus sa place en Europe où le coût est trop élevé. Pour Qimonda, le plus important est de conserver les activités de recherche et développement". Le professeur Bartha ne partage pas cette analyse : "En se spécialisant sur la recherche, nous deviendrions dépendants des fabricants asiatiques et américains. Et c'est avec nos compétences qu'ils réaliseront des profits", regrette-t-il.
Marie de Vergès
LE MONDE 05.02.09 13h57 • Mis à jour le 05.02.09 13h57
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