LE MONDE 03.07.09 14h20 • Mis à jour le 03.07.09 14h20
C'est une triste histoire qui est en train de s'écrire chez Altis à Corbeil-Essonnes (Essonne). Les 1 500 salariés de cette usine de semi-conducteurs, premier employeur privé de la commune, attendent depuis des mois le nom de leur repreneur. En 2006, leurs actionnaires actuels - l'américain IBM et l'allemand Infineon - leur a signifié qu'ils voulaient se débarrasser du site avant fin 2009.

Une fois de plus, la direction n'a livré aucun nom lors du comité d'entreprise du jeudi 2 juillet. Exaspérés, les syndicats ont voté un délit d'entrave, exigeant d'être informés sur leur sort. Le seul projet confirmé par la direction est celui prétendument porté par Serge Dassault, sénateur-maire de la ville. Mais depuis que sa réélection à la mairie de Corbeil-Essonnes, en mars 2008, a été invalidée par le Conseil d'Etat (le 8 juin), le milliardaire menace, selon les syndicats, de laisser tomber son plan si sa liste n'est pas réélue aux prochaines élections municipales.
Contacté, M. Dassault a refusé de répondre à nos questions.
"Il n'y a pas de chantage ! assure un proche de M. Dassault. Ce qui est sûr, c'est que les investisseurs apportés par M. Dassault seraient rassurés si sa liste gagnait."
"Prendre 1500 salariés en otage, c'est honteux",
estime Michel Fourgeaud, délégué CFDT d'Altis. Il ne se fait pas d'illusions : si aucun projet de reprise n'émerge rapidement, c'est tout le site qui fermera.
Preuve de leur désarroi : les salariés ont fait grève pendant une semaine, jusqu'au 22 juin. Le site, qui peut produire jusqu'à 1 000 galettes de silicium par jour (sur lesquelles sont gravés les micro-processeurs), a été complètement paralysé. Une première.
"Ici, les gens ne sont pas revendicatifs", avoue M. Fourgeaud. Jusqu'à présent, ils s'étaient conformés à la "culture IBM". L'usine a été créée par "Big Blue" dans les années 1950. Au début, elle fabriquait des gros calculateurs et des "machines à boules" (machine à écrire). Les premiers semi-conducteurs sont produits dans les années 1960. Dans les années 1980, l'usine compte jusqu'à 4 600 salariés. A la fin des années 1990, un plan social est mis en oeuvre. L'usine se met à produire des processeurs pour téléphones portables. Mais en 2005, IBM veut abandonner la fabrication de composants partout dans le monde. Infineon, l'autre actionnaire arrivé en 1999, va mal et cherche aussi à partir.
En 2007, un premier projet de reprise est présenté : celui d'un industriel russe adossé à la banque VEB. " Ils avaient un vrai projet industriel. Ils disaient qu'en Russie, ils étaient incapables de faire tourner une usine pareille", raconte Frédéric Brunier, secrétaire du comité d'entreprise. Mais la crise financière balaye le plan.
Puis vient le plan "B", comme "Besson", le nom de famille du directeur de l'usine, esquissé devant les salariés en avril 2009. Il s'agirait d'un projet de reprise en LBO (avec un fort recours à la dette) par les dirigeants de l'usine. C'est là qu'interviendrait M. Dassault, qui viendrait en garantie d'un prêt de 10 millions d'euros, et amènerait un proche, un financier suisse prêt à investir 60 millions d'euros, mais que personne à l'usine n'a jamais rencontré. C'est toujours le seul plan en lice.
"Il faudrait que Serge Dassault comprenne qu'on a fait la révolution française. Et qu'il ne peut pas se comporter comme un seigneur sur ses terres qui peut tout acheter", déclare le communiste Bruno Piriou, opposant historique de M. Dassault à Corbeil (Le Monde du 13 juin). "Mais les principaux responsables de cette situation lamentable, ce sont quand même les actionnaires actuels de la société. En 2000, ils ont reçu 38 millions d'euros de subventions, contre des créations d'emploi qui n'ont jamais eu lieu", ajoute le politique. Chez IBM, on prétend être "extrêmement actifs pour maintenir l'activité sur le site".
Pour nombre de salariés, l'histoire va mal se terminer. Alors que l'industrie des semi-conducteurs européenne est sinistrée, que la délocalisation de la production vers l'Asie s'accélère, les syndicats d'Altis craignent que le gouvernement veuille n'en sauver qu'un, STMicroelectronics, à Grenoble. Voilà pourquoi aujourd'hui, ils se battent pour la mise en place d'un vrai plan social portant sur 400 salariés afin que, quel que soit le repreneur, ils partent dans des conditions financières acceptables.
Cécile DucourtieuxArticle paru dans l'édition du 04.07.09.
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