15 janvier 2014

La France a besoin d'un "choc de syndicalisation"



Alerte rouge ! Des salariés qui manifestent avec leurs patrons, d'autres qui reprochent aux syndicats de les empêcher de travailler le dimanche, une montée du vote ouvrier en faveur du Front national, etc. Nombreux sont les éléments dans la période actuelle qui montrent qu'une frange grandissante du salariat considère que le syndicalisme n'est pas en capacité de leur apporter du mieux dans leur vie présente et à venir. En effet, même si la désyndicalisation s'est arrêtée dans les années 90 et qu'il y a depuis une quasi-stabilisation des effectifs syndiqués, nous sommes dans une situation de sous-syndicalisation pérenne qui entraine des reculs non seulement sur le niveau et le contenu des luttes sociales, mais aussi sur les valeurs d'unité, de solidarité, d'émancipation, de démocratie, que porte le syndicalisme et qui ont jusqu'ici irrigué la société francaise.

Dans le même temps, tout en versant des larmes de crocodile sur le faible taux de syndicalisation dans notre pays, le Medef et les forces politiques favorables au libéralisme économique, qu'elles soient de droite ou de gauche, agissent pour instaurer dans les faits un syndicalisme institutionnalisé, intervenant non plus dans un rapport de représentation du salariat, mais dans une logique de corps intermédiaire chargé de la gestion des risques sociaux.

Ainsi, le patronat et les pouvoirs publics, en maniant à la fois répression et multiplication de structures de consultations et dialogue en tout genre sur leurs objectifs au mépris de négociations, parviennent à ce que la représentation et la capacité d'action des syndicats soient remises en cause par les salariés eux-mêmes. Et comment peut-il en être autrement quand le syndicalisme est absent de secteurs entiers du salariat, comme le commerce et les services, les PME et TPE où se concentrent un grand nombre d'ouvriers, de jeunes, de femmes qui sont souvent les plus précarisés ?

Comment peut-il en être autrement quand la plupart des syndicats comptent au plus quelques dizaines de syndiqués dans des entreprises de plusieurs centaines de salariés ?

Comment peut-il en être autrement quand, même si le syndicat est encore fortement implanté, les élus et les mandatés sont de plus en plus sollicités pour passer leur temps dans les réunions avec les directions plutot qu'avec les salariés ?

Partout, les salariés n'attendent pas grand-chose de tout ce qui est institutionnel (les partis, les élus, les parlements, etc.) et donc de plus en plus, ils mettent les syndicats, qu'ils considèrent comme extérieurs à eux, dans le même sac.

Il faut donc travailler à reconstruire un syndicalisme d'adhérents, vraiment représentatif de toutes les catégories de salariés, si l'on veut stopper cette dérive d'acceptation de la loi du marché comme dogme incontournable, qui enferme les syndicats dans un role de "gestionnaires du moindre mal" et entraine les salariés qui la subissent vers les fausses solutions d'individualisme et de remise en cause de l'intérêt général du monde du travail. Et pour cela, il y a besoin d'un véritable "choc de syndicalisation" dans ce pays !

En effet, même si des syndicats et des équipes militantes ont développé, avec un certain succès, des initiatives, des campagnes de syndicalisation, même s'il y a eu des mobilisations d'ampleur depuis 1995, impliquant des millions de personnes dans des luttes longues et tenaces, cela n'a pas fait bouger de facon significative le nombre de syndiqués dans le pays.

En fait, malgré l'engagement de nombre de militants, malgré les luttes des salariés pour résister à la déferlante libérale, s'est développée depuis les années 80, tant dans les transmissions professionnelles que sociétales ou familiales, l'idée d'un syndicalisme impuissant à enrayer la fragilisation du monde du travail.

Aujourd'hui, le fait de se syndiquer apparait davantage comme un engagement individuel relevant de la conscience de chacun plutot que comme un investissement dans un mouvement jouant un role moteur et majeur dans le progrès social.

Reconstruire un cercle vertueux de syndicalisation de masse, entrainant le développement d'un syndicalisme d'adhérents, en capacité de remporter des succès revendicatifs et d'imprégner toute la société d'une culture de progrès social, est un défi majeur qui interpelle en premier les centrales syndicales elles-mêmes. Bien sur, il y a au sein même des syndicats, de tous les syndicats, des partisans d'un syndicalisme institutionnel qui sont présents et même qui sont en position dominante dans certains d'entre eux. Mais en même temps, quelle que soit leur appartenance syndicale, bien plus nombreux sont les syndicalistes qui veulent et qui agissent pour un syndicalisme qui fonde sa légitimité, sa représentativité sur son implantation, son organisation dans le monde du travail.

Relever le défi de la syndicalisation passe par la création des conditions d'une appropriation collective du syndicat pour en faire une force dans laquelle les salariés se reconnaissent, se sentent représentés.

Cela pose directement la question de la permanence, de l'intensité et de la conduite de la politique de syndicalisation de chaque organisation syndicale et des moyens à mettre en œuvre en terme de structuration, de décloisonnement, de cadres syndicaux, de formes d'organisation pour sortir du "dialogue social managérial" et favoriser l'adhésion et l'intervention de toutes les catégories de salariés.

Il s'agit de construire, à partir des aspirations revendicatives qui s'expriment, de nouvelles bases d'action collective, intégrant l'ensemble de celles et de ceux qui participent au travail collectif d'une entreprise, d'un site, d'une zone professionnelle.

Mais si cette situation doit amener les syndicats à des "bougés" dans leur politique de syndicalisation, elle interpelle également les salariés eux-mêmes et singulièrement toutes celles et ceux qui disent que l'action du syndicalisme est indispensable... mais ne sont pas syndiqués !

Il est temps de s'adresser à eux en grand, et pourquoi pas de facon intersyndicale, pour leur dire : "Syndiquez-vous. Il y a le choix dans les syndicats et si vous ne pouvez pas, pour une raison ou une autre, adhérez au syndicat que vous voulez, adhérez au syndicat que vous pouvez. Le principal, c'est d'être acteur, engagé dans une force collective qui ne tient sa puissance d'intervention que de ses adhérents".

La situation actuelle du syndicalisme devrait également interroger les partis politiques progressistes. Il ne s'agit en aucun cas de revenir sur le principe d'indépendance, que tout le monde reconnait, mais ces partis ont un intérêt objectif au rayonnement d'un syndicalisme représentatif, fort en adhérents, et ils devraient à ce titre, tant dans leur politique interne qu'au travers des mesures qu'ils proposent ou prennent quand ils sont au pouvoir, à quelque échelle que ce soit, favoriser et valoriser la syndicalisation des salariés, en commencant par entendre leurs propositions et, leurs revendications.

Enfin, il y aurait tout à gagner pour le monde du travail à en finir avec le mur qui existe encore entre le syndicalisme et le monde associatif qui agit sur la solidarité, la paix, l'écologie, le multiculturalisme, etc. Là encore, il ne s'agit pas de faire de la courroie de transmission mais de favoriser le développement de valeurs communes, tant dans la société que dans l'entreprise, en faisant en sorte que l'engagement syndical en soit le vecteur.

Dans la période que nous vivons, il est déterminant, pour toutes les forces progressistes, que le syndicalisme soit bien percu par les salariés comme un outil essentiel pour à la fois défendre leurs intérêts et leurs revendications au quotidien dans l'entreprise et pour transformer la société afin qu'elle réponde aux besoins humains.

Aujourd'hui, il y a besoin de reconquérir le travail comme un droit, un socle de cohésion sociale pour une société solidaire.

C'est cela qu'il faut opposer au mode de domination patronal actuel qui génère injustices, inégalités, recul social pour celles et ceux qui n'ont pour vivre que leur travail et enrichissement insolent pour les tenants de la finance et du capital.

La question d'un syndicalisme fort, portant des valeurs de solidarité, d'égalité, de démocratie, tant dans sa facon de fonctionner que dans ses rapports avec les salariés, et en capacité d'irriguer le salariat dans toute sa diversité, se pose comme un impératif.

Pour y parvenir, l'augmentation sensible du nombre de syndiqués et l'implantation de syndicats, qui rayonnent sur toute la réalité actuelle du salariat et dont les adhérents sont des acteurs et des décideurs, sont des défis que le syndicalisme francais doit désormais dans l'urgence relever pour le monde du travail.

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